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Pagaïe, sors de la cuisine!
Pagaïe, sors de la cuisine!
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1 avril 2009

Blanquette de veau du 21eme siècle ? Controverses et essais

Blanquette21_2

Tout d'abord, je m'aperçois de la date : Non ce billet n'est pas un poisson d'avril, vous pouvez le lire jusqu'au bout, tout est vrai!

Contrairement à ce que pensent certains, je suis de cet avis de dire que la cuisine est évolutive. La cuisine est un art, et, comme tous les arts, elle s’appuie sur des techniques ("La cuisine c'est de l'amour, de l'art, de la technique" - Hervé This et Pierre Gagnaire - Ed. Odile Jacob).  Et la technique évolue. Beaucoup, malheureusement, en sont restés aux préceptes d’Escoffier, et mettraient encore volontiers ces horribles crêtes de coq dans leurs plats graisseux et écœurants s’ils pouvaient en trouver plus facilement.

Nous serions sans doute fort étonnés qu’un chanteur continue à rouler les « R » et à enregistrer ses opérettes sur des disques vinyles. Alors pourquoi accepter de ne rien manger d’autre le dimanche qu’un improbable gigot piqué à l’ail (je ne sais pas qui a inventé ça ?) accompagné de sa boîte de flageolets.

La cuisine traditionnelle est bourrée d’erreurs et de croyances enfermant malheureusement la créativité dans un carcan. Les détracteurs des innovations citent Ferran Adria comme celui qui a fait manger des mousses, des billes et des purées de tout et de rien. Lorsque je dis que je suis allé déjeuner chez Thierry Marx on me répond : « Ah oui il cuisine à l’azote, ça doit être bizarre non ? » Je ne sais pas quoi répondre, rien n’y était « cuisiné à l’azote »… gasp !

Une de mes connaissances me citait un restaurant où il avait l’habitude d’aller et pour lequel il avait appris que le chef utilisait des huiles essentielles ! Horreur, l’homme avait été mis sur le bûcher de la tradition et cloué au pilori de l'honnêteté culinaire! J’ai répondu que je ne voyais pas où était le problème ? L’inquisition frappait à ma porte le soir même, dénoncé je l’étais !

Alors s’il vous plait, au passage, arrêtez de piquer vos gigots à l’ail, ça ne sert à rien et c’est désagréable lorsqu’on tombe sur de ces gousses entières d’ail cru et froid! Puis ouvrez par la suite votre esprit… La lécithine n’est pas une « saloperie de produit chimique » mais un émulsifiant naturel contenu entre autres dans le soja et le jaune d’oeuf. La gélatine n’a de quoi faire peur qu’à ceux qui ne mangent pas de porc. L’agar-agar est issu d’une algue marine (sans le mazout)… et l’azote compose la majeure partie de l’air que nous respirons, il est juste très froid à l’état liquide. Tous ces adjuvants sont sans doute bien moins dangereux qu’une viande grillée (carbonisée) sur ce bon vieux barbecue et que toute l’huile de palme que vous ingurgitez dans la pâtisserie industrielle et les biscuits apéro !

Tout ça pour vous dire que personnellement je suis curieux. Avez-vous une idée des sensations gustatives procurées par des cacahuètes torréfiées enrobées de poudre pétillante (rien que du CO2) et mouillées en bouche d’un bouillon de canard (Fabrice Biasiolo)? Il y a de quoi agiter vos papilles ! Le goût est bel et bien toujours là, on n’est pas sur le mythe de la pilule pour astronautes ! Frédéric Schueller, de l’Atelier des Chefs de Bordeaux, nous disait, à l’occasion d’un cours de cuisine moléculaire, qu’il s’amusait à faire un « air » de jus de citron qu’il congelait ensuite. Il semble que la sensation de fraîcheur et de légèreté en bouche soient inouïs ! Pourquoi s’en passer ? Ce jour-là nous avons fait de la sphérification inversée de yaourt. Rien qu’une cuillère de yaourt trempée dans un bain d’alginate (algue). En bouche cette raviole mollasse toute blanche éclate et laisse échapper le yaourt enfermé dans une très fine membrane : Incroyable ! Mais c’est toujours du yaourt, promis ! 

Venons-en donc au sujet de ce billet : la blanquette de veau revisitée. Je ne vous en donnerai pas la recette, car ce qui m’intéresse ici est de vous parler de la démarche. De plus il y a beaucoup d’erreurs qu’il faudrait corriger, ce sera pour une autre fois peut-être ? Parvenir à la version définitive et souhaitée du premier coup relèverait du génie. Je n’ai pas (encore) cette prétention…

Le principe de la blanquette de veau traditionnelle est de faire cuire des « bas » morceaux de veau (collier, épaule) dans un bouillon aromatique contenant de carottes. La viande, très cuite, donc tendre, et jamais colorée, est liée d’un roux réalisé à partir du bouillon et servie avec les légumes, des champignons de Paris et traditionnellement du riz. Sans vouloir bafouer l’idée de base, j’ai toutefois voulu apporter quelques modifications.

La cuisson basse température étant une des innovations de la cuisine moderne, j’ai tenté d’appliquer ce principe. Le bouillon est réalisé comme traditionnellement avec oignon, clou de girofle, laurier, ail, carottes et céleri branche. Une température plus élevée est importante car les légumes contiennent des fibres, et notamment de la pectine, qui n’est solubilisée qu’à partir de 85°C. En dessous les légumes restent crus ! Une fois les carottes cuites, mais encore un peu fermes, j’ai plongé dans ce bouillon, après avoir laissé sa température descendre à 70-75°C, les morceaux de veau et ai mis l’ensemble à cuire au four à 65°C pendant 1 heure (comme le canard dans le billet précédent). Il est bien entendu souhaitable de contrôler la température en cours de route.

Les légumes (carottes, oignon, ail, céleri branche) ont ensuite été mixés et liés avec un peu de beurre pour en faire une purée souple.

Un roux a été réalisé de manière traditionnelle avec le bouillon de cuisson filtré, crémé, gélatiné et mis en siphon pour réaliser une espuma.

Des feuilles de céleri branche ont été blanchies, étalées sur du papier cuisson, salées, huilées et mises à sécher au four ventilé dans sa partie haute pendant la cuisson du veau. Il en résulte des « chips » de céleri décoratives et croustillantes.

Le reste des feuilles a été cuit à l’Anglaise et mixé dans l’eau de cuisson. Incorporation d’une cuillère de lécithine de soja et réalisation d’une écume au mixeur plongeur au moment du service.

De gros champignons de Paris ont été émincés finement, salés et mis à sécher au four en compagnie des feuilles de céleri. Il en résulte des chips également riches en goût.

Ensuite, un champignon par assiette a été retaillé pour ne laisser que la partie centrale sur une épaisseur de 1,5 cm. Ceux-ci ont été sautés à la poêle à feu doux et leurs pieds égalisés pour qu’ils puissent tenir debout dans les assiettes.

Enfin, le traditionnel riz a été remplacé par des nouilles japonaises soba à base de farine de sarrazin, simplement cuites à l’eau.

Le montage a été exécuté dans un cercle haut. Sur une virgule de purée et quelque nouilles soba, les morceaux de veau sont ajoutés et noyés sous l’espuma réalisée avec le roux de bouillon. Par-dessus l’écume de céleri, puis quelques chips de champignon, le champignon sauté « debout » et la feuille chips de céleri.

Blanquette21_3

Alors le verdict… Malheureusement plusieurs erreurs à déplorer !

Tout d’abord le veau : Je m’en doutais en le faisant mais je l’ai fait quand même… J’avais choisi des morceaux dans le collier, comme pour la blanquette traditionnelle. Au final, la viande certes blanche à l’extérieur et rosée à l’intérieur, était trop ferme. C’est pourtant un des principes de la cuisson basse température : Il ne faut choisir que des viandes tendres car la température inférieure à celle de la dissolution du collagène ne permet pas aux morceaux de se ramollir tout au moins lors d’une cuisson relativement courte comme celle-ci (et contrairement à ce qui se passe dans une cuisson longue traditionnelle). Donc modification à apporter la prochaine fois : utiliser du filet de veau!

L’espuma, manquait d’épaisseur. Certes très agréable au goût et d’une texture intéressante, elle n’était toutefois pas assez enveloppante pour la viande et s’est quasiment désintégrée quelques minutes après. Conclusion, utiliser un roux plus épais.

La purée de carottes était certes savoureuse mais contribuait à donner à l’ensemble une structure un peu « molle ». Peut-être essayer d’uniformiser la taille des tronçons de carottes et les colorer à la poêle, pourquoi pas légèrement les caraméliser tiens? Puis les ranger comme les colonnes de Buren...

Les champignons séchés étaient forts en goût mais leur simple séchage les a rendus un peu caoutchouteux (cette fameuse cellulose, toujours elle). Peut-être les traiter comme les feuilles de céleri en les blanchissant au préalable ? Encore une piste à creuser…

L’écume de céleri était intéressante, goûteuse et agréable à l’œil !

Le remplacement du riz par les nouilles soba est aussi une solution qui se défend.

Alors au final, pas grand-chose à garder dans cette recette, en tout cas moins bien que la blanquette traditionnelle. Je ne pense pas pour autant que la conclusion à en tirer soit que rien ne vaut une bonne blanquette de grand-mère ! Il y a des pistes à creuser, des améliorations à apporter ; Rome ne s’est pas faite en un jour ! Si j’ai le courage de m’y remettre, et si vous avez de nouvelles idées, on en reparle un peu plus tard ?

Restez curieux et ouverts… et… Bon appétit ! (Bien sûr…)

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Commentaires
E
Bonjour,<br /> J'aime bien la blanquette à l'ancienne mais pourquoi pas revisitée...mais ce que j'aime avant tout dans ce billet, c'est que pour une fois il ne parle pas d'un plat parfait, entouré de superlatif à n'en plus finir, il a ses défauts et vous mettez parfaitement le doigt dessus, et ça c'est une chose rare pour être soulignée...
F
j'aime la tradition c'est certain mais j'adore la revisiter à la lueur des techniques culinaires actuelles. Voilà sans doute pourquoi ta blanquette me parle un langage gourmand que j'apprécie beaucoup. J'attends moi aussi impatiemment ta version revue et corrigée ;-). Je ne doute pas de l'excellence de la correction! Biz à vous deux! et à très très bientôt
C
poisson d'avril ou pas, merci pour ce billet et cette vision! Ton billet est clair et bien expliquer, ce qui n'est pas toujours le cas... on voit que tu as étudier la chose! Une chose est sûre, j'aime beaucoup ta photo! bonne journée, ciao
E
Heu, j'ai rien contre la cuisine moderne mais chez nous, le gigot à l'ail ça n'a jamais été une punition surtout accompagné des délicieux flageolets frais du jardin ! certes, il faut évoluer mais certaines recettes passent les siècles et ce n'est pas sans raison.<br /> <br /> Je gouterais quand même bien à ta blanquette revisité.
J
Premier commentaire de ma part ? je ne me souviens plus , mais le tonlégèrement "Ayatollah" m'a un peu chauffé les oreilles !j'ai horreur des ayatollahs, même en cuisine .On peut aimer(ou ne pas aimer) les crêtes de coq sans nécessairement les noyer dans un jus graisseux,d'ailleurs des cuisiniers comme Alain Ducasse les utilisent sans honte.Il existe des versions de la blanquette où la viande (tendron ,flanchet) est légèrement rissolée avant d'être mouillée de liquide .Je suis partisan de l'évolution quand elle ne mène pas à l'exclusion, ce qui , malheureusement , et pour des raisons de mode , est souvent le cas .J'aime , comme vous , les "écumes" , mais je refuse d'en être submergé, quelle que soit leur légèreté !Je n'aime pas non plus les gousses d'ail à moitié crues dans le gigot, mais je n'en condamne pas pour autant ceux qui les aiment.Je sais qu'un homme politique a dit"la tolérance, il y a des maisons pour ça" , mais comme elles ont officiellement disparu , accueillons-la dans nos chaumières , ou bien elle finira par être , elle aussi, une immigrée indésirable
Pagaïe, sors de la cuisine!
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